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Cercle Tommaso Cavalieri
26 juillet 2014

Ma conférence du 16 juin "la Passion d'Oscar Wilde" Résumé

LA PASSION D’OSCAR WILDE

 

Par Dominique VIBRAC

 

L’histoire retient surtout les effrayantes et effarantes tribulations dont fut victime celui qui prétendait, dans une confidence de 1891 à André Gide, avoir mis son génie dans sa vie et seulement son talent dans son oeuvre. Le destin semble l’avoir pris au mot, le condamnant à l’épreuve de deux années de travaux forcés, à l’humiliation et à la misère. Il disait souvent au terme de son existence : « j’ai fait comme Saint François d’Assise ; j’ai épousé la pauvreté. Mais ce mariage m’a beaucoup moins bien réussi ».

 

A l’invitation de l’ « Hôtel » (rue des Beaux-Arts), où il mourut après sa conversion au catholicisme le 30 novembre 1900, j’ai eu l’immense plaisir de prononcer, en ce lieu-même, une conférence le 16 juin dernier, dans le cadre des Wilde Days organisés par la Société Oscar Wilde que préside David Charles Rose, dans laquelle je m’interroge sur cette étrange destinée, et sur l’attitude déconcertante d’un esthète ayant le culte de l’art pour l’art et d’un hédoniste qui séparait l’humanité non entre personnes bonnes ou mauvaises, mais charmantes,  ou, au contraire, ennuyeuses.

 

Résumons les faits. Le Marquis de Queensberry, père d’Alfred Douglas (dit « Bosie »), l’amant d’Oscar, dépose à l’entrée du club de Wilde une carte avec ces mots insultants : « Pour Oscar Wilde, s’affichant comme Somdomite [sic]. »  Poussé par un Bosie animé par une haine de son père,  l’écrivain décide alors de lui intenter un procès pour diffamation, à double-tranchant.  La roue de la fortune tourne en défaveur de ce dernier. Wilde refuse alors de suivre le conseil de ses amis de quitter le continent, aussi en raison de l’influence de sa mère, Lady Wilde qui le somme de ne pas s’enfuir. Condamné le 25 mai 1895, en vertu d'une loi datant de 1885 interdisant les relations sexuelles entre hommes, Wilde écope de la peine maximale de deux ans d’abominables travaux forcés. Il en sort détruit.

 

Je veux d’emblée dépasser l’approche de cette tragédie par le seul angle de l’homosexualité comme telle, certes pertinent mais incomplet. Comme l'écrit Stephen Fry, qui a incarné magnifiquement Oscar Wilde dans le remarquable film éponyme de Brian Gilbert (1997), dans une préface à une anthologie d’aphorismes :   «Le courage de Wilde n'était pas d'avoir une «sexualité parallèle», mais une parfaite liberté d'esprit»

 

Mais Oscar Wilde ne se réduit pas à une cause, pour légitime qu’elle puisse être. Il nous pose une énigme : pourquoi a-t-il ainsi marché vers son sort si funeste, sans se dérober, sans quitter Londres pour éviter l’enfermement et la destruction? Déclenchant une affaire judiciaire dans l’engrenage de laquelle il finit broyé. Est-ce par secret masochisme ? Par relent de culpabilité chrétienne ? Par désir secret de se châtier et ainsi de se purifier ? Par contradiction intime ?

 

Je pense que la réponse est beaucoup plus simple. Par amour. Sa passion est à certains égards christique. Il boit le calice jusqu’à la lie. Mais le ressort d’une semblable folie, des imprudences qui furent siennes, de l’indifférence affichée aux conséquences redoutables, me semble être la passion amoureuse envers Bosie. Un amour non payé également de retour, et donc fort douloureux, faute de s’être converti en amitié bienveillante, comme ce fut le cas de la relation entre Wilde et Robert Ross (dont les cendres reposent aujourd’hui au Père Lachaise dans la tombe d’Oscar). Le poète Wystan Hugh Auden a fort bien exprimé ce drame intérieur de toute passion amoureuse, qui explique les folies qu’elle inspire : « if equal affection can not be : let the more loving one be ». Si notre affection ne peut être égale, laisse-moi être le plus amoureux des deux. Dans un épisode de la série « Kavanagh qc », elle aussi remarquable,  le regretté acteur que fut John Thaw en fait déjà l’expression de cette condition sublime et terrible de l’état amoureux. Oscar adorait Bosie. Mais l’inverse n’était pas vrai, même si je persiste à penser que de telles relations sont complexes et qu’il y avait aussi une part d’amour chez Alfred Douglas. Mais trop immature pour apaiser la passion par le baume de l’amitié. La folie amoureuse n’est en ce sens pas du tout contradictoire avec le plaisir de vivre, même si elle peut conduire à l’anéantissement. Tant la vie devient fade par la perte de l’être adulé, de sa présence et de son estime.  Et Oscar Wilde en livre un nouveau témoignage.

 

Cela ne l’empêche pas de rester le chantre de la légèreté et du plaisir de vivre et d’admirer. Quand il sortit de prison, après deux années de travaux forcés, il s’exclama : « que le monde est beau ; que le monde est beau ! ». Et Oscar nous invite aujourd’hui au plaisir. Celui du corps et celui de l’esprit. Martin Page écrit justement, au sujet d’Oscar : « Le grand scandale d’Oscar Wilde est le plaisir qu’il donne, plus que celui dont il parle, quand il écrit sur les fleurs, les costumes de scène, l’amour ou la morale. On ne pardonne pas à un écrivain d’avoir un style si excitant. Le faible lecteur se sent coupable. Habitué à souffrir pour apprendre, il en déduit que, s’il jouit, cela ne doit pas être bien sérieux ». Un jour Oscar écrivit : « L'humanité se prend trop au sérieux. C'est le péché originel de notre monde. Si l'homme des cavernes avait su rire, le cours de l'histoire eût été changé ».  

 

Au fond, c’est la dernière facétie du dandy anglais : être une figure tutélaire, et  peut-être aussi – qui sait ? – un saint patron, aussi des hédonistes du monde que des amoureux incompris.

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